Rencontres

Intuition

Une première fois
mon cœur s’est emballé quand il disait
qu’il savait dire aux gens ce qu’ils voulaient entendre.

Avant qu’il arrive
mes joues se sont empourprées
puis en voyant son regard j’ai senti
un malaise inexplicable
je n’y voyais pas de gentillesse
n’y voyais rien briller.

Il m’a enlacée, embrassée beaucoup
j’ai détesté l’odeur restée sur mes lèvres
ce regard insaisissable
son sourire pareil à un rictus
débitant des blagues qui n’en étaient pas.

Nous nous sommes quittés, plus un mot.
Supprimée bloquée, terminé
l’histoire s’arrête comme elle a commencé
en quelques clics.

@andreajinycloud
2018

L’auto-stoppeur

Minuit.
A la sortie de la ville, un homme nous demande si on peut le déposer à la gare à une vingtaine de kilomètres de là.
C’est un type d’une trentaine d’années, typé, le visage marqué.
Les chiens braillent et frétillent à l’arrière du camion. Il a l’air nerveux.
Il nous dit qu’il est en galère, que ça fait longtemps qu’il attend et que personne ne veut le prendre. Il doit prendre le train le lendemain matin pour se rendre à Agen, il a rendez-vous pour mettre ses papiers en règle et pouvoir partir.
Il fait partie des gens du voyage. Rester dans une maison il peut pas, c’est pas possible.
Sa famille est en Sicile, il doit aller les voir avant d’aller du côté de Marseille.
Il nous raconte tout ça pendant que l’auto-radio crache du Zebda. D’ailleurs, lui aussi a l’accent qui chante.
Ici, c’est mort. La mentalité est… les gens sont méchants, vulgaires, tout le monde te regarde…
Sa désillusion m’accable. Il a juste l’air d’avoir envie de se sentir bien quelque part.
On le laisse à la gare. Il va y attendre toute la nuit.
Qui se donnerait tant de mal pour un rendez-vous ? Ceux du genre où on vous regarde à peine et de haut malgré vos efforts manifestes, où on vous toise en vous donnant l’air misérable.
Il a mis un costume, il s’est coiffé, parfumé. Il me touche parce qu’il a l’air fatigué, las, et en même temps fort et humble. Je ne sais pas si c’est l’habitude d’essuyer des refus, mais il répète souvent Merci quand même.
Avant de partir, il nous demande du feu pour rallumer la moitié de cigarette qu’il a éteinte avant de monter avec nous.
Je le regarde s’éloigner avec le magazine qui lui tiendra compagnie le reste de la nuit, la veste de son costume rabattue par le vent. Il nous a sûrement déjà oublié. Arriver là était une étape. Demain, il s’agira pour lui de faire bonne impression et de bien parler sans avoir dormi. Le hall de la gare est fermé. Et pendant que nous nous éloignons, un peu confus et dépités, j’espère sincèrement que les choses iront bien pour lui.

La p’tite dame qui cherchait son parapluie

Un courant d’air soufflait sur ma nuque trempée quand la p’tite dame est arrivée. Petite, toute petite. Une toute petite dame avec une queue de cheval, une queue de cheval qui rendait son visage encore plus fin. Elle était si petite, toute menue dans l’encadrement de la porte, avec ses yeux bleus effarouchés.
J’ai pensé : « elle est comme moi, un peu dérangée ». On a toujours un signe qui nous trompe je crois, dans la posture, sur les habits ou sur la tête, j’ai senti qu’elle était habitée et j’ai compris pourquoi après.
Elle m’a à peine regardée, n’a pas répondu à mon sourire. J’ai cru qu’elle allait rentrer dans la pièce, mais non, elle regardait par terre en marmonnant. J’ai cru que c’était de ma faute, que ma présence l’importunait, elle est partie en marmonnant toujours, comme si elle allait appeler au secours. Quand elle est revenue avec un grand monsieur, elle avait l’air encore plus minuscule et là, j’ai entendu sa voix pour la première fois.
Elle avait posé son parapluie « là, un parapluie gris juste là, enfin je crois, je l’avais mis là je crois ». Petite voix fluette, et ses grands yeux bleus toujours cachés derrière sa frange. Ils avaient l’air jolis. Je sais pas pourquoi, elle était vraiment inquiète pour son parapluie, comme si elle avait perdu quelque chose de précieux. Elle regardait le porte-parapluie noir comme si un corps gisait là, ou comme si l’objet allait réapparaître, l’air complètement perdue. « Mon parapluie, mon parapluie ! Vraiment ça alors ». Il était là quand même elle l’avait mis là. Non ? Est-ce que quelqu’un l’avait pris ?
Elle est partie puis revenue, s’est assise comme une petite fille, la frange et les jambes bien droites, les mains posées dessus. Elle disait rien j’étais désolée. Elle pensait peut être que je lui avais chipé. Les yeux dans la vague, elle y pensait toujours je crois, à son parapluie, son parapluie disparu. Après quelques minutes elle s’est excusée et ma demandé de sa petite voix si… si je savais si… mais je ne savais rien, et elle est restée comme ça perplexe et déçue. On est venu me chercher et j’ai du partir, l’énigme du parapluie perdu irrésolue.

@andreajinycloud
05/06/2018