L’auto-stoppeur

Minuit.
A la sortie de la ville, un homme nous demande si on peut le déposer à la gare à une vingtaine de kilomètres de là.
C’est un type d’une trentaine d’années, typé, le visage marqué.
Les chiens braillent et frétillent à l’arrière du camion. Il a l’air nerveux.
Il nous dit qu’il est en galère, que ça fait longtemps qu’il attend et que personne ne veut le prendre. Il doit prendre le train le lendemain matin pour se rendre à Agen, il a rendez-vous pour mettre ses papiers en règle et pouvoir partir.
Il fait partie des gens du voyage. Rester dans une maison il peut pas, c’est pas possible.
Sa famille est en Sicile, il doit aller les voir avant d’aller du côté de Marseille.
Il nous raconte tout ça pendant que l’auto-radio crache du Zebda. D’ailleurs, lui aussi a l’accent qui chante.
Ici, c’est mort. La mentalité est… les gens sont méchants, vulgaires, tout le monde te regarde…
Sa désillusion m’accable. Il a juste l’air d’avoir envie de se sentir bien quelque part.
On le laisse à la gare. Il va y attendre toute la nuit.
Qui se donnerait tant de mal pour un rendez-vous ? Ceux du genre où on vous regarde à peine et de haut malgré vos efforts manifestes, où on vous toise en vous donnant l’air misérable.
Il a mis un costume, il s’est coiffé, parfumé. Il me touche parce qu’il a l’air fatigué, las, et en même temps fort et humble. Je ne sais pas si c’est l’habitude d’essuyer des refus, mais il répète souvent Merci quand même.
Avant de partir, il nous demande du feu pour rallumer la moitié de cigarette qu’il a éteinte avant de monter avec nous.
Je le regarde s’éloigner avec le magazine qui lui tiendra compagnie le reste de la nuit, la veste de son costume rabattue par le vent. Il nous a sûrement déjà oublié. Arriver là était une étape. Demain, il s’agira pour lui de faire bonne impression et de bien parler sans avoir dormi. Le hall de la gare est fermé. Et pendant que nous nous éloignons, un peu confus et dépités, j’espère sincèrement que les choses iront bien pour lui.

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